Date : 20/21 et 22 mars 2024
Lieu : Aix-en-Provence - Faculté de lettres, Maison de la Recherche, Salle de colloque 2.
Les participants seront sélectionnés sur la base d’un appel à communications dont la date limite est le 31/10/2023.
Journées d’étude internationales, Aix-Marseille Université, 20-22 mars 2024
Le concept de crise semble être indissociablement lié à l’émergence de la modernité. Or, à l’ère de la modernité tardive, la multiplication des périls – changement climatique, catastrophes écologiques ou encore remises en question du système de valeur attaché à la démocratie libérale – paraît cumuler dans une sorte de « polycrise » (Edgar Morin) qui ne peut être pensée qu’à l’échelle planétaire. S’il arrive encore que certaines crises, prises isolément, soient rapportées à l’accélération du capitalisme après la fin de la guerre froide, on assiste aujourd’hui à une convergence de pensées qui remettent en question de manière beaucoup plus fondamentale certaines structures intrinsèquement liées à la modernité en tant que telle. L’accumulation actuelle de crises peut alors être imputée à l’anthropocentrisme dominateur ainsi qu’à la prépondérance d’une raison instrumentale qui structurent le rapport spécifiquement moderne (et, à l’origine, occidental) au monde. Les phénomènes d’aliénation qui en découlent – relation altérée à l’environnement, maladies psychiques telles que la dépression, le burnout ou le bore-out, clivages sociétaux, isolement des individus – sont aux antipodes des promesses portées par la science et la politique (auxquelles on peut bien sûr ajouter les mirages publicitaires de l’économie marchande), et ce précisément parce qu’elles lient l’accroissement du bonheur individuel à l’idée de progrès. Entre catastrophe climatique et multiplication des expériences aliénantes tant au niveau individuel qu’au niveau collectif, le sentiment se propage que le modèle social, politique et économique qui sous-tend la modernité s’approche de plus en plus vite du bout d’une impasse.
Le rôle que joue ici la vision dualiste du monde telle qu’elle est ancrée dans la pensée occidentale a déjà été mis en évidence par Heidegger. Avec le concept de l’être-au-monde, ce dernier a esquissé une nouvelle manière de penser l’homme qui transcende le dualisme entre le moi et le monde, dualisme dont il décèle les origines chez Descartes notamment. On retrouve une telle démarche de remise en question de l’ontologie occidentale chez les penseurs et les penseuses d’aujourd’hui, chez Philippe Descola en particulier, qui la met au cœur de son analyse anthropologique de la crise actuelle pour proposer une manière de la dépasser en instaurant un rapport au monde plus dialogique et harmonieux. Dans les pays de langue allemande, les travaux du sociologue Hartmut Rosa sur l’accélération et, plus récemment, la résonance, entendue comme « catégorie d’analyse sociologique qui permettrait de poser les bases d’une sociologie générale des rapports au monde », ont connu une large réception. Dans les domaines de la philosophie ou de l’économie, on trouve toute une série d’approches qui envisagent une réorientation fondamentale de la manière de penser le monde, que ce soit en se fondant sur des relectures innovantes de modèles classiques (à l’instar du philosophe Kohei Seito et de son analyse de Marx) ou en explorant de nouvelles pistes de réflexion (à l’exemple de l’économiste Mariana Mazzucato et de son étude Mission Economy). Au-delà de la tentative de saisir la crise de la modernité tardive, le point commun entre ces approches est qu’elles cherchent aussi à esquisser des portes de sortie en imaginant de nouvelles formes d’être-au-monde voire de décrire ce que serait la « vie bonne » (Hartmut Rosa).
Les journées d’études interdisciplinaires porteront d’une part sur les approches scientifiques et artistiques qui, bien qu’elles adoptent des points de vue différents et qu’elles s’appuient sur des méthodologies qui leurs sont propres, voient dans le « mutisme du monde » (Hartmut Rosa) un phénomène essentiel pour comprendre la crise de la modernité tardive. Elles se pencheront d’autre part sur les perspectives et les réorientations que ces modèles proposent afin de sortir de l’impasse actuelle.
L’intérêt porte autant sur les théories qui tentent de saisir ce moment de transition que sur ses représentations et/ou transpositions dans les arts et la littérature. Dans le sillage de Hartmut Rosa, pour qui l’art, à côté des deux autres « axes de résonance verticaux » que constituent la religion et la nature, a un rôle central à jouer dans la redéfinition de l’être-au-monde, il s’agira de s’interroger sur les fonctions que peuvent remplir littérature, musique ou théâtre comme pratiques sociétales et espaces d’appréhension du monde. Dans quelle mesure le diagnostic de crise posé par la philosophie, la sociologie ou l’économie est-il repris dans les arts ? Quels sont les moyens narratifs et esthétiques mis en œuvre pour concrétiser, mais aussi critiquer les perspectives proposées dans le domaine théorique ? Et dans quelle mesure la littérature et les arts peuvent-ils parfois se faire le lieu de l’élaboration d’un contrediscours autonome ?
Les champs thématiques suivants sont envisagés :
1) La modernité tardive en crise : descriptions et analyses d’un rapport au monde déréglé dans la sociologie, la philosophie et les arts ;
2) Esquisses de réorientations : réponses sociologiques, philosophiques, économiques, anthropologiques, artistiques et littéraires au mutisme du monde ;
3) Espaces contemporains de résonance et de réflexion dans la littérature et dans les arts (en particulier dans la perspective des « axes de résonance verticaux » postulés par Hartmut Rosa).
Les journées d’études auront lieu du 20 au 22 mars 2024 à Aix-en-Provence. Hartmut Rosa interviendra
dans le cadre d’un Grand séminaire de la Maison de la Recherche le 21 mars 2024 avec une présentation intitulée « Nature, Art, and Religion. The Power and Promise of Vertical Resonance ».
Les propositions de contributions scientifiques ou artistiques en français ou en allemand sont attendues jusqu’au 31 octobre 2023. Merci d’envoyer un abstract (max. 400 mots) ainsi qu’une courte notice biographique à l’équipe organisatrice. Les frais de transport et d’hébergement des participant.es seront pris en charge dans la limite des fonds disponibles.
Organisation :
- Sebastian Hüsch, UMR 7304 Centre Gilles Gaston Granger (sebastian.husch@univ-amu.fr)
- Sophie Picard, UR 4236 ECHANGES (sophie.picard@univ-amu.fr)
- Kathrin-Julie Zenker, UR 4236 ECHANGES (kathrin-julie.zenker@univ-amu.fr)
Comité scientifique :
- Florence Bancaud (Aix-Marseille)
- Dorothee Kimmich (Tübingen)
- Pascal Taranto (Aix-Marseille)
- Oliver Victor (Düsseldorf)
Durant les journées d’étude internationnales, Hartmut Rosa (Université de Iéna) donnera une conférence sur Le concept de « résonance » le jeudi 21 mars à 17h dans la même salle (Faculté de lettres d’Aix-en-Provence, bâtiment Multimédia, salle de colloque 2).